Commentaires de la base de données, par Hélène Both, sous la direction de Pascale Verdier, directrice des Archives départementales du Bas-Rhin


Dans le cadre du projet Expériences de terrain et compétences cartographiques : pour une approche heuristique de la numérisation des cartes et plans, la Maison Interuniversitaire des Sciences de l'Homme d'Alsace (MISHA) a mené une campagne d'identification puis de numérisation d'une partie des cartes et plans conservés aux Archives départementales du Bas-Rhin. Cette campagne a concerné les cartes et plans manuscrits, ainsi que les cartes et plans imprimés portant des mentions manuscrites. Les critères de sélection de l'échantillon, axé sur les relevés de terrain, ont conduit à exclure de l'étude les plans de bâtiments, à quelques exceptions près. Ce sont donc essentiellement des représentations de territoires qui ont été analysées entre 2005 et 2008.

L'identification et la numérisation ont porté en grande partie sur les cartes et plans anciens, c'est-à-dire antérieurs à 1792[1], et dont on dénombre 2079 pièces connues.
Elles ont fait l'objet de deux instruments de recherches dressés par François Himly, directeur des Archives départementales entre 1959 et 1983.

L'inventaire principal a été rédigé en 1959 et un supplément a été publié en 1978.
Il faut toutefois apporter certaines précisions concernant cette "collection"[2] et les instruments de recherche qui s'y rattachent. Les Archives n'ont en effet pas vocation à recevoir des ensembles
de documents constitués selon leur typologie ou leur thématique. Aucun plan (hormis les plans du cadastre) n'entre aux Archives en tant que tel, comme un document isolé présentant suffisamment d'intérêt pour être conservé sans limitation de durée : il entre comme partie d'un dossier jugé intéressant du point de vue historique ou administratif, produit par un service déterminé. Il côtoie donc d'autres « typologies documentaires », un dossier d'archives étant constitué, le plus souvent, de correspondance, de notes, de rapports, et parfois également de plans, à titre d'illustration, toutes pièces relatives à une même affaire.
Le fonds des cartes et plans conservés aux Archives départementales constitue donc une collection factice, fondée sur une typologique documentaire (ils ont tous été rassemblés par homogénéité de support afin d'illustrer mon propos, je prendrais un contre exemple : il ne viendrait à l'esprit de personne de regrouper en série cohérente toute la correspondance que l'on pourrait trouver aux Archives départementales, quel que soit son producteur – c'est pourtant ce que l'on fait pour les plans : on les rassemble sous forme de collection, qui ne repose donc pas sur l'objet ou le producteur, mais sur le support du document.

De plus, cette collection est incomplète. En effet, François Himly a travaillé à partir d'un inventaire existant, dressé au XIXe siècle par Louis-Adolphe Spach. Si F. Himly a bien effectué des sondages dans les huit kilomètres de documents (sur 30 aujourd'hui) alors conservés aux Archives départementales pour compléter l'inventaire existant, ni lui ni L.-A. Spach n'ont matériellement eu la possibilité d'ouvrir tous les cartons et ils n'ont donc pu procéder à un dépouillement exhaustif des documents cartographiques. Nous savons aujourd'hui qu'il existe, encore pliés dans leurs dossiers d'origine, de multiples plans non décrits dans les inventaires anciens.

De plus, des questions de conservation se posent également lorsque l'on évoque les cartes et plans. Souvent de grande taille, ces documents ont été extraits des liasses dans lesquelles ils ont été versés aux Archives, pour être rangés à plat. On a alors pu perdre le lien avec le dossier d'origine ; le contexte dans lequel ils ont été produits peut s'avérer difficile à reconstituer.
Enfin, dans les années 1950, les archivistes rédigent principalement des inventaires dits « sommaires », qui sont en fait partiels, et qui varient en fonction des intérêts de l'archiviste. Le long travail de dépouillement mené lors du projet Hist. Carto a d'ailleurs permis d'identifier des documents qui ne figuraient pas dans les instruments de recherche. La proportion estimée de plans non identifiés dans les inventaires et découverts en consultant les liasses est de 25 % du total traité par la MISHA.

Les cartes et plans anciens conservés aux Archives départementales du Bas-Rhin couvrent la période 1450-1790. La plupart sont en couleur. 90 % d'entre eux datent du XVIIIe siècle.

Les zones géographiques représentées sont variées : Basse-Alsace, Lorraine, Franche-Comté et Allemagne du Sud-Ouest. Le projet Hist. Carto s'attachant aux représentations manuscrites des cartes, et non aux territoires cartographiés, le critère géographique n'a pas été retenu dans la définition de l'échantillon. L'ensemble des zones géographiques couvertes par les cartes et plans conservés aux Archives départementales est toutefois représenté dans la base de données.

L'échantillon retenu dans le cadre du projet Hist. Carto comporte à la fois des plans anciens (antérieurs à 1792), révolutionnaires (1792-1800) et modernes (1800-1870). Les premiers lots de numérisation n'ont porté que sur des plans anciens. Ils ont permis de numériser 1829 documents sur les 2202 pièces inventoriées (plans anciens, révolutionnaires et modernes).

Les cartes et plans sont répartis dans les différentes séries du cadre de classement des Archives départementales selon la logique qui prévaut en archivistique française : le classement par producteur. Comme tous les documents d'archives, les cartes et plans retenus dans cette étude ont été créés dans le cadre d'une activité, celle des institutions productrices. L'utilisation dont pourrait faire l'objet le document dans le cadre de recherches historiques n'est évidemment jamais envisagée au moment de sa production. Ce type de classement et le contexte de production du document d'archive sont à garder à l'esprit au moment d'interpréter les documents car on ne dispose souvent que d'un seul point de vue : celui du producteur.
Les cartes et plans anciens émanent d'un petit nombre de producteurs : intendance d'Alsace, seigneuries, clergé régulier et séculier essentiellement, l'intendance ayant produit à elle seule environ ¾ des plans identifiés. La prépondérance des cartes de l'intendance au sein des cartes anciennes conservées aux Archives départementales s'explique par le très large domaine de compétences et de fonctions exercées par les intendants au XVIIIe siècle : véritables représentants du roi dans les provinces, ceux-ci disposent d'importants pouvoirs en matière de justice, de police et de finances ; leur action couvre ainsi l'ensemble de ce que l'on appellerait aujourd'hui l'administration régionale[3].

97 % des plans numérisés, tous producteurs confondus, couvrent des domaines bien précis :

1. les plans d'arpentage (1009 pièces, 55,2 % du total)
2. les plans du réseau hydrographique (331 pièces, 18,10 % du total)
3. les plans des routes (309 pièces, 16,89 % du total)
4. ainsi que, dans une moindre mesure, les plans de forêts (126 pièces, 6,89 % du total)

Les nombreux plans d'arpentage, réalisés essentiellement par l'Intendance, sont à replacer dans le contexte des préoccupations agraires de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le surpeuplement de la région provoque de graves problèmes de subsistance et les intendants ordonnent alors la réalisation de plans à grande échelle (1/5200e environ) afin de faire apparaître les communautés villageoises et les utilisations qui sont faites des sols. Les plans de parcelles agricoles permettent de mettre en évidence les terres vacantes, qui pourraient être utilisées pour augmenter les rendements agricoles et tenter de trouver une solution aux crises de subsistances. Ces documents, réalisés à la demande du pouvoir, permettent aujourd'hui de dresser un état exact de l'économie agricole de la Basse-Alsace au XVIIIe siècle.

A côté de l'intendance, on trouve deux autres producteurs : le clergé (séculier série G et régulier série H) et les familles bas-rhinoises (série E). La plupart des plans retenus dans l'étude et provenant de la série E sont des représentations de forêts ou de terrains bâtis. Ceci s'explique essentiellement par le fait que ces documents ont été réalisés dans le but de justifier d'un droit, en l'occurrence un droit de propriété sur une parcelle ou sur une forêt, d'où leur caractère fréquent dans les fonds. La même explication vaut pour les cartes et plans conservés en séries G et H. On trouve ainsi le plan des terres labourables appartenant au chapitre de Neuwiller-lès-Saverne (cote G 5368 [19]) ou encore le plan des biens de l'abbaye d'Ebersmunster dans le bas d'Hermoltzwiller (cote H 200). Dans tous ces exemples, le plan délimite les contours d'une propriété.

Les cartes et plans qui ont été identifiés mais qui ne sont pas encore numérisés appartiennent aux séries révolutionnaires (1792-1800) et modernes (1800-1870). Certaines thématiques apparaissent avec le XIXe siècle, accompagnant la révolution industrielle et montrant ainsi la part prise par l'administration dans le contrôle de la vie économique. Comme les plans anciens, les plans modernes illustrent une affaire traitée globalement dans un dossier, à l'image des croquis, parfois sommaires, accompagnant les demandes d'installation d'appareils à vapeur dans les usines (sous-série 5 M, fonds de la Préfecture, hygiène et santé publique). Au XIXe siècle, l'installation d'appareils à vapeur était, comme de nos jours, soumise à l'autorisation du Préfet. Les dossiers de demandes d'installation comportent de nombreux plans indiquant le type d'appareil à installer ainsi que la place que prendra la machine dans l'entreprise. Ces données sont examinées par les inspecteurs de la Préfecture, qui accordent ou refusent les installations en fonction des conditions de sécurité et des caractéristiques des appareils. Les limites des instruments de recherches apparaissent clairement lorsque l'on observe les plans identifiés à partir des inventaires par la MISHA et indexés dans la catégorie des chemins de fer. En effet, seuls huit plans apparaissent alors qu'il en existe certainement bien plus, et notamment en série S (travaux publics et transports).

Au total, cette étude aura permis de valoriser des documents souvent peu consultés mais également d'ouvrir des perspectives : aucun inventaire à la pièce n'existe à ce jour. Une identification exhaustive reste donc à mener.

Hélène Both, Strasbourg - 1er décembre 2008

[1] En archivistique, les périodes chronologiques se répartissent ainsi : archives anciennes (séries A à H, jusqu'en 1792), archives révolutionnaires (séries K et L, 1792-1800), archives modernes (séries M à Z sauf W, 1800-1940), archives contemporaines (série W, à partir de 1940). En Alsace et en Moselle, les archives contemporaines débutent en 1870 avec les séries allemandes AL (Reichsland Elsass-Lothrigen) et D (Bezikspräesidium des Unter-Elsass). La série W débute, dans ces trois départements, en 1945.
[2] Une collection est un ensemble de documents constitué volontairement, en fonction de critères librement définis. Le terme est ici utilisé entre guillemets précisément parce que les cartes et plans ne constituent qu'une collection artificielle.
[3] L'intendance d'Alsace était établie à Strasbourg, la division en deux départements telle que nous la connaissons aujourd'hui n'existant pas au XVIIIe siècle. Les pouvoirs de l'intendant s'étendaient sur toute l'Alsace.